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Une musique religieuse ?


Un langage nouveau ?


Notice "Les âmes perdues"


Notice "Comme une étoile ..."


Notice "La rose inaccessible"


Notice "Un peu plus d'élan .."


Notice "Plus près de l'infini"


Notice "Vers la simplicité"


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lecture    Les âmes perdues

 

lecture    Derrière l'ombre des douleurs

 

lecture    Le Tournoiement des songes

 

lecture    L'échelle de la beauté

 

lecture    A ciel ouvert

 

lecture    Voyage au gré des illusions

 

lecture    Double concerto

 

lecture    Comme une étoile du matin

 

lecture    La rose inaccessible

 

lecture    La colombe et le lys

 

lecture    Un peu plus d'élan et d'innocence

 

lecture    Les Noces d'Orphée

 

lecture    Trio clarinette, alto et piano

 

lecture    Behind the light

 

lecture    Eloge de la folie

 

lecture    Plus près de l'infini

 

lecture    L'oiseau d'éternité

 


Quatre questions de
Pascal Pistone

La religion ?
Musique religieuse, musique profane
L’acte de composer
Un message ?

Il serait intéressant de comprendre le rôle tenu par une éventuelle croyance religieuse dans votre processus de création.

Il y a plusieurs façons d’aborder le fait religieux (à condition de l’accepter, bien sûr...) : par le rituel, par les textes, et par la voix immédiate, dite mystique, qui ne passe ni par le rite ni par l’exégèse : elle peut se référer aux textes, du moment ou ceux-ci nous mettent en condition, nous préparent à recevoir une compréhension qui est au-delà des mots. Dans la relation mystique au «monde spirituel», même Dieu est absent : tout s’efface, toute notion, toute représentation, à la faveur de l’expérience. Cette expérience ne pouvant être relatée, on ne peut l’apprécier que par ses fruits : les sensations qu’elle procure, les actes, les attitudes qu’elle favorise, et surtout les œuvres qu’elle nous inspire.
Je ne prétends donc à rien de plus que le partage d’une expérience que, parfois, j’appelle mystique faute de mieux, sans être bien sûr de sa qualité. J’imagine sans mal que des milliers d’êtres humains aient connu des expériences mystiques plus fortes que les miennes, à commencer par Maître Eckhart, Saint Jean de la Croix ou Ramana Maharshi, et justement ce sont des saints (et moi pas !), mais point des artistes... Car, à un certain degré, l’expérience semble exclure l’activité créatrice d’ordre artistique.
Peut-être faut-il différencier aussi l’état mystique – permanent – et l’accès à l’expérience mystique – fragile, occasionnelle.
Cette expérience mystique n’est pas très éloignée, en fait, de l’expérience poétique. Il existe des passerelles de l’une à l’autre. Mais l’expérience mystique nous permet d’accéder à des espaces de sensation dont nous n’imaginons pas même l’existence. Ils peuvent être rattachés à un contexte religieux, confessionnel, spiritualiste, car en effet les différentes traditions ont toujours cherché à favoriser, tout en les dissimulant sous des symboles, des allégories, le passage vers la réalité cachée. Le thème de la résurrection, par exemple, peut être appréhendé comme un récit surnaturel, comme un rituel, ou sous un angle philosophique, en cherchant à comprendre sa signification dans notre vie présente. Il peut être vécu à travers la musique, soit de manière extérieure (comme dans la musique à programme) soit de l’intérieur, suite à une expérience qui me révélerait – ou me ferait seulement approcher – le sens / la sensation profonde de la résurrection christique.
C’est le thème que j’ai abordé dans Croix de lumière, et cette composition a constitué une étape importante dans mon parcours individuel.
J’ai toujours tenu à distance les textes liturgiques canoniques, les références trop explicites à la tradition (aux traditions, car le Soufisme, le Bouddhisme zen, l’Orthodoxie me fascinent tout autant que le Catholicisme où j’ai le sentiment cependant d’être plus près de mes racines, ne serait-ce que par l’influence strictement musicale du chant grégorien sur mon langage.) Plusieurs de mes compositions religieuses – au sens large – comme Chant d’amour à l’éternité, Magnificat, Vers l’autre rive, Comme une étoile du matin, sont d’ailleurs sans paroles. D’une certaine manière, le texte religieux me gêne, m’éloigne de l’expérience qu’il implique, à moins d’être formulé en termes mystérieux, obscurs et dans une langue poétique. C’est pourquoi je reviens plus volontiers vers la poésie, dès qu’il s’agit de musique vocale, à moins de concilier les deux, comme ce poème de Maître Eckhart, Le Grain de Sénevé, écrit au bord du vide, que j’ai utilisé dans Von Seelengrund.
Vous évoquez le rôle d’une éventuelle croyance religieuse. On parle de croyance lorsqu’on se situe en dehors du fait religieux ; mais si vous vous trouvez en train de vivre une expérience religieuse, la question ne se pose même pas de savoir si Dieu est ou n’est pas. Cela équivaudrait à se demander : suis-je ?!
Le paysage religieux est tellement encombré d’Histoire et de morale que beaucoup se déclarent incroyants par refus. Une attitude bien comprise à l’égard du fait spirituel me semble pourtant favorable à la création : elle encourage l’humilité requise (humilité relative en balance avec cet imposant orgueil créateur) ; elle tient à distance les idoles : reconnaissance sociale, succès, argent et autres... ; elle permet surtout de traverser, de connaître des états rares, inaccessibles par d’autres voies : la prière, la gratitude, le pur amour, le détachement...
Évidemment, l’époque est cynique et se rit de cela... mais le cynisme est sourd ! et je ne désespère pas de rencontrer des oreilles innocentes...

Quelle nuance établissez-vous, dans la musique d’aujourd’hui, entre une pièce d’inspiration religieuse et une œuvre profane ?

Quelle différence établir aujourd’hui entre inspiration religieuse et œuvre profane ? La même au fond que jadis. Peut-être faut-il différencier l’esprit religieux – l’esprit sensible et ouvert à des états religieux – de l’esprit non religieux, que l’œuvre se réfère ou non à la religion.
D’une part, certaines compositions en rapport avec la religion ne retiennent que l’aspect rituel, exotérique. Cela n’est pas sans valeur, et peut même avoir une certaine grandeur. Mais je n’ai rien écrit de la sorte. D’autre part, il y a des pièces instrumentales qui peuvent explorer des climats religieux, vécus intimement, sans que le titre s’y rapporte. C’est possible en ce qui me concerne (dans le premier mouvement de Musique joyeuse, par exemple, qui suggère un climat de naissance mystique) ; mais il n’est pas sûr de pouvoir dire catégoriquement ceci est religieux et cela ne l’est pas.

De plus, et vous l’avez compris, je ne trace pas de frontière entre le mysticisme et une certaine poésie contemporaine qui perpétue l’essence du mysticisme – je pense, par exemple, à Anne Perrier, à Heather Dohollau... – sans aucune référence à la religion. Tout au plus aperçoit-on le «reflet d’un ange»...

La poésie occupe une place prépondérante dans mon parcours, et si l’on veut dégager un sens de mes compositions, le détour par ces poèmes n’est pas inutile. Non que je me les approprie, au contraire ils favorisent l’effacement de ce «je» qui m’encombre dès qu’il s’agit de composer. Ils m’aident à le tenir à l’écart, et plus que jamais s’éloigne la tentation du formel. Ces poèmes, qu’ils s’agisse de Tioutchev, de Rilke, de Jean-Paul Roud, d’Anne Perrier, de Heather Dohollau, de Charles Juliet, de Jean-Paul Hameury ou de Yves Prié, ont la capacité de favoriser des états d’apesanteur, de permettre de franchir la ligne de l’irrationnel (moins Juliet, qui insiste sur la douleur de l’enfantement, pour éclairer la liberté difficilement acquise ; moins Hameury, qui décrit longuement nos errances, et ne fait qu'entrouvrir l’issue inespérée, sa lueur vacillante.) Dans la poésie française de Rilke, par exemple, il y a cette ouverture sur l’informulé, l’impensé – et rien ne facilite autant l’accès du compositeur à un état de légèreté, de luminosité.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’acte de composition lui-même ?

J’ai toujours conservé une part de secret autour de mon travail de composition. N’ayant jamais présenté d’esquisses à quiconque (cela agaçait mon professeur de composition, quand j’étais étudiant...), si je montre une partition achevée, c’est parfois quelques semaines, quelques mois après.
Je ne programme pas le travail de composition. La seule nécessité est d’avoir un peu de temps, quelques jours, quelques semaines devant soi. Le fait de composer est toujours latent ; je suis toujours en attente de composer, si bien que si les conditions sont requises (silence, tranquillité) je suis toujours prêt, je n’ai qu’à m’installer dans un état, déjà vécu, parfois inconsciemment, et présent sous forme de souvenir, que je sens être propice à l’écriture de la pièce envisagée. Parfois l’idée initiale est immédiate, parfois elle se forme à tâtons ; je la saisis à l’instant où elle m’apporte une sensation de joie et de gratitude.
Je conçois toujours une œuvre dans un élan primordial ; en quelques heures, un jour, six jours... cela dépend de l’ambition ; il faut que l’essentiel soit noté. Dans chaque pièce, il y a un fil tendu : il ne faut jamais qu’il flotte, qu’il soit rompu, sinon la pièce est fragmentée, elle perd son énergie formelle fondamentale. Il sera toujours temps d’ajouter, de retrancher, partiellement ; le sens formel restera préservé. Cet élan compositionnel est généralement porteur d’enthousiasme, même si des difficultés de parcours peuvent surgir – motif obtus, indésirable surgissant à l’improviste ; réalisation technique délicate d’un passage, nécessitant un temps d’"arrêt sur image" – et cet enthousiasme, réconfortant, peut cependant nous tromper sur la valeur du résultat. Beaucoup de compositeurs en viennent ainsi à se méfier de la sincérité. Mais un sens critique sur le qui-vive tue l’élan : il faut donc bien trouver un équilibre, un moyen terme ; et veiller à ce que le fil reste toujours tendu !

Votre musique délivre-t-elle un message, rend-elle meilleur, apporte-t-elle une vision éclairée du monde ?

J’ai des doutes sur de prétendus messages, concernant la musique que j’écris. Peut-être certains titres le laissent-ils entendre ? Mais il faut toujours leur ajouter dans ce cas un point d’interrogation. Vers la simplicité, oui mais : Vers la simplicité ? et non : Vers la simplicité ! J’ouvre une porte, je suggère une voie dans laquelle je m’engage. Je ne dis pas : «Allez vers la simplicité - lorsque vous composez !» ni : «Ne compliquez pas tant les choses - allez vers la simplicité !»
Il me semble que la simplicité est une réponse possible et individuelle à la création. C’est une forme de défi et de provocation, car la simplicité est perçue souvent comme indigence, même si on l’admire en Schubert, en Mozart. Mais peut-être s’agit-il – en ce qui me concerne – d’une fausse simplicité, d’une simplicité ouvragée qui ne parvient pas à la réelle simplicité ? Dans ce cas, le titre indique un objectif qui ne serait pas atteint... Comment parler alors de message ?
En vérité le titre n’est qu’un titre ! Il est possible qu’il y ait dans ce Double concerto pour alto, piano et cordes un cheminement vers le silence, un autre vers la quiétude, un autre vers la joie ; il n’est pas toujours aisé de savoir si la musique exprime la joie ou si elle tend vers la joie, ou si elle peint la joie comme un espoir inaccessible. Voilà qui relativise la notion de message.
Mon vœu est le suivant : si l’œuvre est un moment vécu, le témoignage d’une étape de ma vie, il y a une possibilité de rencontre avec autrui, il y a possibilité de partager cet élan, cette inquiétude, cette sérénité et cette joie, réelles ou simplement entrevues. Chacun peut les recevoir en son for intérieur et les laisser vibrer et s’épanouir.
Donc le message – si message il y a – est peut-être simplement celui-ci : être libre. Si je compose l’esprit libre, sans soumission à l’esprit du temps, je peux ainsi partager une expérience de la liberté. Et si cela peut apporter une forme de joie et de confiance en soi et en les autres, c’est bien. Mais rien n’est moins certain